[Concept du jour] Explicite/Implicite/Sous-entendus

Commençons notre discussion sur les niveaux de sens en apportant un certain nombre de considérations sur quelques notions bien connues de la vie quotidienne que sont  l’explicite, l’implicite et le sous-entendu. Si ces termes répondent à une définition rigoureuse dans le domaine de la linguistique, ils restent employés relativement couramment dans la vie quotidienne. Entre des énoncés comme « Désolé pour la confusion, j’essaierai d’être plus explicite la prochaine fois », « C’était une invitation implicite ? », ou encore  » Je ne suis pas certain de voir ce que tu sous-entends par là… », les notions font sens dans la conversation de tous les jours. Pourtant, ces concepts commencent à poser problème dès lors qu’on tente d’en donner une définition plus formelle. Lors d’une telle démarche, on se rend compte que les frontières sont floues et qu’il y a parfois recouvrement.

Pour pallier cette confusion, la linguistique s’est attelée à formaliser ces concepts, et a ainsi donné lieu à une typologie précise de ce que que l’on entend par langage implicite et langage explicite. Cette typologie est l’objet de cet article, et les éclaircissements qui sont apportés ici sont indispensables à la bonne compréhension de l’étude plus détaillée des différents niveaux de sens dont il a été question dans l’article introductif de cette section.

Commençons donc notre plongée dans le monde du sens de la communication verbale.

Comme nous pouvons l’imaginer, le contenu explicite correspond à ce qui est explicité par le locuteur, et le contenu implicite correspond respectivement au contenu implicité par le locuteur. Mais en science, les notions intuitives ne sont pas recevables. Il est nécessaire de leur donner des caractéristiques formelles qui permettent de les différencier de manière claire. Le critère discriminant que les linguistes ont défini pour distinguer l’explicite de l’implicite est celui des conditions de vérité. Nous avons présenté en quelques mots cette notion  dans un article précédent. Armé de ce concept, nous disons que le contenu explicite correspond à l’ensemble des conditions de vérités d’un énoncé. Autrement dit, le contenu informatif que le locuteur communique de manière explicite est constitué de l’ensemble des conditions qui doivent nécessairement être remplies dans le monde pour que l’énoncé soit vrai. On considère également que le contenu explicite, par sa nature encodée, est l’ensemble des contenus de sens sur lesquels le locuteur s’engage nécessairement. Nous verrons qu’il peut nié avoir implicité une information, mais il ne peut jamais nié avoir communiqué un contenu explicite. Un exemple permettra facilement de comprendre le principe :

- Le café m’empêche de dormir.

Si l’on se réfère à la définition que nous venons de voir, le sens explicite est obtenu par identification de ce qui doit être vrai dans le monde pour que l’énoncé soit vrai. Dans le cas précis, aucune surprise, l’énoncé est vrai si le café m’empêche de dormir. L’information selon laquelle le café m’empêche de dormir est donc le sens explicite de l’énoncé. Trivial dîtes-vous ? Un peu de patience. Observons maintenant à quoi ressemble un contenu informatif qui peut être communiqué par un énoncé sans pour autant devoir nécessairement être vrai. Pour ce faire, insérons le même énoncé dans un dialogue :

- Tu veux une tasse de café ?
– Le café m’empêche de dormir.

De la réponse obtenue, le questionneur peut tirer deux informations différentes – et contradictoires – entre lesquelles il devra faire un choix. Selon la situation, le second énoncé peut être compris comme une réponse négative, particulièrement dans le cas où la personne a un sommeil fragile. Mais une situation différente, par exemple une période de préparation d’examens, peut laisser entendre une réponse positive, l’effet stimulant du café étant dans ce cas souhaitable. Ces interprétations, qui peuvent toutes deux être obtenues sur la base du même énoncé, ne peuvent être vraies toutes les deux en même temps, et montrent ainsi par leur nature incompatible qu’elles ne correspondent pas à ce qui doit nécessairement être vrai dans le monde, sans quoi nous serions en face d’un paradoxe. Je ne peux pas nécessairement communiquer à la fois que je veux du café et que je ne veux pas de café. Ainsi, quelque soit l’interprétation à donner à l’énoncé « Le café m’empêche de dormir », l’information « Je ne prends donc pas de café » ou « Je prends donc volontiers du café » ne fait pas partie du contenu explicite, mais du contenu implicite. On dit alors que par mon énoncé, j’ai implicité, ou encore que j’ai sous-entendu que je prendrai / ne prendrai pas de café.

L’information communiquée implicitement, on le voit clairement dans notre exemple, est fortement dépendante du contexte. Comme ce type d’information n’est pas encodé, on ne peut jamais être certain que le locuteur a voulu le communiquer. Selon la situation, on inférera du même énoncé des contenus implicites différents. Cette flexibilité permet au locuteur de se dégager de sa responsabilité face à un contenu implicite. Le dialogue suivant le montre bien :

Un père connu pour être avare s’adresse à son fils qui se marie :
Eh ben, y a du monde à ton mariage !
– C’est bon papa, arrête de te plaindre, je vais t’aider à payer !
– Mais calme toi, j’ai juste dit qu’il y avait du monde à ton mariage…

Une dernière remarque avant de clore cet article. En sémantique formelle, l’usage du concept de sous-entendu n’est plus utilisé par la majorité des linguistes par manque de précision. En effet, ce terme sert à la fois à désigner un contenu implicité, que l’on appelle dans le jargon une implicature, mais également certaines présuppositions, dont nous verrons dans l’article qui leur est consacré qu’elles font partie du domaine de l’explicite. Une seconde raison est que la distinction entre explicite et implicite décrit de manière suffisamment efficace la séparation de ces deux types de contenus pour se passer d’un terme supplémentaire qui viendrait alourdir et brouiller la terminologie. Et bien qu’il soit fréquemment employé dans le langage courant, ce terme ne renvoie pas à un concept formel en linguistique.

 

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